Page:Daudet - Jack, II.djvu/262

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rèrent aussi à une détonation formidable. Il n’en fut rien. Le bouchon sortit très naturellement, sans explosion, comme tous les bouchons du monde, et aussitôt le garçon, la bouteille haute, s’élança autour de la table, en courant et disant très vite : « champagne… champagne… champagne… » Les coupes se tendaient sur son passage, pendant qu’il faisait cette fois le prodige de la bouteille inépuisable. Il y eut de la mousse pour vingt personnes, un pétillement aigre au fond du verre, que chacun huma avec respect ; et même il faut croire que le tour fait, il en restait encore, puisque Jack, qui était placé en face de la porte, vit le garçon retourner le goulot dans son gosier en s’en allant. C’est égal, la magie de ce mot champagne est telle, il y a tant de gaîté française dans la moindre parcelle de sa mousse, qu’une animation étonnante circula à partir de ce moment parmi les convives. Chez les Bélisaire, elle se traduisit par une rapacité extraordinaire. Ils faisaient des rafles sur la nappe, fourraient tout ce qu’ils pouvaient dans leurs poches, les oranges, les papillotes, les petits-fours rances, disant qu’il valait mieux les emporter que de les laisser aux garçons. Tout à coup, au milieu des rires et des chuchotements, on passa à madame Bélisaire une assiette de bonbons fallacieux, embellie du petit bébé en sucre rose et bleu qu’on ne manque jamais d’offrir à la mariée dans ces sortes de fêtes ; mais le petit Weber avec son énorme frisure était là déjà pour