Page:Daudet - Jack, II.djvu/274

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puisse voir ses dents, quand elle commença à dévider ses histoires extravagantes, Jack sentit revenir toutes ses appréhensions. Justement la joie, l’émotion, la mettaient en veine d’aventures, et elle maintint ses auditeurs sous le coup d’une surprise permanente. On parlait des parents que M. Rivals avait dans les Pyrénées.

— Ah ! oui, les Pyrénées, soupirait-elle, Gavarni, les gaves, la mer de glace… J’ai fait ce voyage-là il y a quinze ans, avec un ami de ma famille, le duc de Cassarès, un Espagnol ; tenez, précisément le frère du général… Quel grand fou, quand j’y pense… S’il ne m’a pas fait rompre le cou vingt fois. Figurez-vous que nous menions en Daumont à quatre chevaux, ventre à terre tout le temps, et du champagne plein la voiture ! Du reste, c’était un original fini, ce petit duc… J’avais fait sa connaissance à Biarritz d’une façon si amusante !

Cécile ayant dit ensuite qu’elle adorait la mer :

— Ah ! ma bonne petite, si vous l’aviez vue comme je l’ai vue, près de Palma, une nuit de tempête… J’étais dans le salon du steamer avec le capitaine, un grossier personnage, qui voulait me forcer à boire du punch… Moi, je ne voulais pas… Alors ce misérable devient fou de colère, ouvre la fenêtre de l’arrière, me prend comme ceci par la nuque, c’était un homme très fort, et il me tenait penchée au-dessus de l’eau, dans la pluie, l’écume, les éclairs… C’était affreux.