Page:Daudet - Jack, II.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reille ignorance. Puis il se sentait gêné par un regard braqué sur le sien. Debout en face de lui, crachant de temps en temps dans sa main pour mieux tenir la barre, le patron le fixait de ses deux yeux clairs qui paraissaient déteints dans sa face bronzée et tannée. Jack aurait voulu faire taire ce regard méprisant qui lui disait : « Tu n’as pas honte, méchant gamin ! » ; mais ces vieux loups de mer, habitués à guetter le grain, à le voir venir en ombres glissantes sur le bleu des vagues, ont des prunelles solides que rien ne fait baisser. Pour endormir cette surveillance gênante, Jack voulut obliger le patron à boire. Il lui tendait un verre qui tremblait dans sa main et une bouteille d’où il s’entêtait à faire tomber le vin enfui jusqu’à la dernière goutte : « Allons, patron, un coup de vin…

Le patron fit signe qu’il n’avait pas soif.

— Laisse-le donc tranquille, ce vieux Lascar, dit tout bas le novice à son ami, tu ne te rappelles donc pas qu’il n’avait pas envie de nous conduire… C’est sa femme qui l’a décidé… Lui trouvait que tu avais trop d’argent, que ça n’était pas naturel. »

Ah ! mais, si vous croyez que Jack va se laisser traiter de voleur… Vous saurez qu’il en a tant qu’il en veut de l’argent. Il n’a qu’à écrire à… Heureusement il se souvient dans le désordre de ses idées que sa mère lui a défendu de prononcer son nom à propos de ces cent francs, et il se contente d’affirmer que cet argent est bien à lui, que ce sont ses économies, qu’il va ache-