Page:Daudet - Jack, II.djvu/280

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acheter une machine à coudre de six cents francs ; six cents francs, pas un sou de moins ! Quant au mari, autrefois patron bijoutier, il déclarait ne vouloir travailler qu’à son compte. Quelques secours quêtés de ci de là aux parents de l’un et de l’autre entretenaient tant bien que mal ce triste ménage, véritable nid à rancunes, à révoltes, à plaintes contre la société. Avec ces déclassés, Ida s’entendait à merveille, s’apitoyait sur leur détresse, se repaissait des admirations, des adulations prodiguées par ces gens qui espéraient d’elle les six cents francs de la machine à coudre ou la somme nécessaire à l’achat d’un fonds ; car elle leur avait dit qu’elle se trouvait dans une gêne momentanée, mais qu’elle n’avait qu’à vouloir pour redevenir très riche. Il en entendait, le sombre et étouffant couloir, des confidences, des soupirs :

— Ah ! madame Levindré…

— Ah ! madame de Barancy…

Et M. Levindré, qui avait inventé tout un système politique, le déroulait en phrases retentissantes, pendant que du chenil, où le Camarade cuvait son vin, montait un ronflement sonore et monotone. Mais les Levindré eux-mêmes allaient quelquefois le dimanche chez des parents, des amis, ou se rendaient à des repas de francs-maçons, ce qui leur économisait un dîner. Ces jours-là, pour fuir l’ennui, la mélancolie de sa solitude, Ida descendait au cabinet de lecture de madame Lévêque, où Jack savait d’avance la retrouver.