Page:Daudet - Jack, II.djvu/299

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— Oui, on a posé le numéro en bas, il y a deux ou trois jours, dit-elle timidement… Je ne sais pas qui.

Il y eut un moment de silence. Ida mourait d’envie de ramasser la brochure ; mais elle n’osait pas. Enfin elle se pencha d’un petit air négligent. Jack vit le mouvement :

— Tu ne vas pas garder cela ici, j’imagine. Ils sont ridicules ces vers.

Elle se redressa :

— Je ne trouve pas, par exemple !

— Allons donc ! Il a beau se battre les flancs pour avoir l’air ému, faire : « Coua ! coua ! » tout le temps comme une cigogne, il ne parvient pas à nous toucher une seule fois.

— Ne soyons pas injustes, Jack. (Sa voix tremblait.) Dieu sait que je connais M. d’Argenton mieux que personne et les défectuosités de sa nature, puisque j’en ai souffert. L’homme, je te l’abandonne. Quant au poëte, c’est autre chose. De l’aveu de tous, M. d’Argenton a la note émue comme on ne l’a jamais eue en France… La note émue, mon cher !… Musset l’avait, lui, mais sans élévation, sans idéal. À ce point de vue, le Credo de l’Amour est incomparable. Pourtant je trouve que ce commencement des Ruptures a quelque chose encore de plus touchant. Cette jeune femme qui s’en va le matin, en robe de bal, dans le brouillard, sans un mot d’adieu, sans tourner la tête…