Page:Daudet - Jack, II.djvu/310

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égayer ma pauvre maman. Tout cela s’était fait en cachette, une vraie surprise d’amoureux, puisque dans cette lutte nouvelle il me fallait combattre mon ennemi, mon rival, sur son propre terrain. Vraiment il me semblait qu’elle serait bien, là. Cette fin de faubourg, tranquille comme une rue de village, les arbres dépassant les murs, des chants de coq montant entre des ais de planches, tout me paraissait devoir la charmer, lui donner un peu l’illusion de cette vie de campagne qu’elle regrettait tant.

« Hier soir enfin, la maison était prête à la recevoir. Bélisaire devait lui dire que je l’attendais chez les Roudic, et me l’amener à l’heure du dîner. J’étais arrivé bien avant eux, joyeux comme un enfant, arpentant fièrement notre petit logis tout luisant de propreté, embelli de rideaux clairs à toutes ses fenêtres et de gros bouquets de roses sur la cheminée. J’avais fait du feu, la soirée étant un peu fraîche, et cela donnait à l’endroit un air confortable, déjà habité, qui me réjouissait… Eh bien, le croiriez-vous ? Au milieu de mon contentement, je sentis passer tout à coup un pressentiment lugubre. Ce fut vif et rapide comme une étincelle électrique : « Elle ne viendra pas ! » J’avais beau me traiter de fou, préparer sa chaise, son couvert, guetter son pas dans la rue silencieuse, parcourir les pièces où tout l’attendait. Je savais qu’elle ne viendrait pas… Dans toutes les déceptions de mon passé, j’ai eu de ces divinations. On