Page:Daudet - Jack, II.djvu/312

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parti, laissant le feu tomber en cendres dans l’âtre et mes bouquets de roses s’effeuiller sur le marbre avec un bruit doux. La maison est louée pour deux ans, et je la garderai jusqu’à la fin du bail, avec cette superstition qui fait que l’on conserve longtemps ouverte et accueillante la cage d’où quelque oiseau favori s’est envolé. Si ma mère revient, nous retournerons là ensemble. Mais si elle ne revient pas, je n’y habiterai jamais. Ma solitude aurait la tristesse d’un deuil. Et maintenant que je vous ai tout raconté, ai-je besoin de vous dire que cette lettre est pour vous, rien que pour vous, que Cécile ne doit pas la lire ? J’aurais trop honte. Il me semble qu’à ses yeux quelque chose de ces infamies rejaillirait sur moi, sur la pureté de mon amour. Peut-être ne m’aimerait-elle plus… Ah ! mon ami, que deviendrais-je si un pareil désastre m’arrivait ? Je n’ai plus qu’elle. Sa tendresse me tient lieu de tout ; et dans mon plus grand désespoir, quand je me suis trouvé seul devant l’ironie de cette maison vide, je n’ai eu qu’une pensée, qu’un cri : « Cécile. »… Si elle aussi allait m’abandonner… Hélas ! voilà ce que les trahisons de nos bien-aimés ont de terrible, c’est qu’elles nous glissent dans le cœur la crainte d’autres trahisons… Mais à quoi vais-je songer ? J’ai sa parole, sa promesse ; et Cécile n’a jamais menti. »