Page:Daudet - Jack, II.djvu/35

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s’informer de ce malheureux. Soudain, on l’appelle.

— Hé ! l’Aztec.

C’est Gascogne, sans chapeau, sans cravate, essoufflé, éperdu.

— Il a son compte, ton matelot… D’un coup de savate, v’lan ! dans le canal… La police est à mes trousses… Je me sauve… bonsoir.

Lequel est le tué des deux ? Lequel est l’assassin ? Jack ne cherche pas, ne comprend plus ; et je ne sais comment cela se fait, les voilà encore réunis tous les trois dans un cabaret où ils s’attablent devant une énorme soupe à l’oignon, dans laquelle on renverse plusieurs litres. Ce breuvage singulier s’appelle « faire chabrol. » On fait chabrol, on doit le faire plusieurs fois, dans des cabarets différents, car les comptoirs, les tables boiteuses se succèdent dans ce rêve vertigineux où le Jack qui raisonne a presque renoncé à suivre l’autre. Ce ne sont que pavés humides, caves sombres, petites portes ogivales surmontées d’enseignes parlantes, de tonnes, de verres mousseux, de raisins en treille. Tout cela s’assombrit à mesure jusqu’au moment où la nuit des bouges s’allume, où des chandelles plantées dans des bouteilles éclairent une vision hideuse de négresses enguirlandées de gaze rose, de matelots dansant la gigue, accompagnés par des harpistes en redingote. Là, Jack, excité par la musique, fait mille folies. Maintenant il est grimpé sur une table, en train d’exécuter une danse surannée qu’un