Page:Daudet - Jack, II.djvu/353

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Et se tournant vers l’employé qui écrivait les billets :

— Charité… Salle Saint-Jean-de-Dieu.

Puis, sans un mot de plus, il continua son inspection.

Parmi les mille visions rapides, confuses, qui passent devant vous dans le mouvement des rues de Paris, qui se succèdent, s’effacent l’une par l’autre, en savez-vous de plus navrantes que ces civières suspendues, abritées d’un tendelet de coutil rayé, et dont deux hommes, l’un devant, l’autre derrière, soutiennent le balancement ? Cela tient du lit et du linceul ; et la forme aveugle, vaguement dessinée là-dessous, abandonnée aux secousses de la marche, vous fait rêver sinistrement. Des femmes se signent à cette vue, comme au passage d’un corbillard. Parfois le brancard s’en va seul, sur le trottoir déserté à son approche ; le plus souvent une mère, une fille, une sœur, les yeux mouillés à cette humiliation suprême de la maladie indigente, suivent ce chevet qui marche. C’est ainsi que Jack écoutait près de lui, à côté des porteurs, le pas inégal du brave camelot, qui de temps en temps lui prenait la main pour lui prouver qu’il n’était pas complètement délaissé. De secousse en secousse, tout somnolent et brisé, le malade arriva à la Charité, dans la salle Saint-Jean-de-Dieu, située au second étage au fond de la deuxième cour. Une salle triste, au plafond soutenu par des colonnes de fonte, et dont les fenêtres donnent d’un côté sur la cour sombre, de l’autre sur un jardin