Page:Daudet - Jack, II.djvu/363

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qui se met de gêne, de sous-entendus, en travers de la parole, quand elle tombe d’une bouche bien portante sur l’oreiller froissé d’un mourant. Vaguement Jack écoute ce murmure doux des voix, au-dessus duquel flottent des aromes d’oranges. Mais quel désappointement à chaque nouvelle visite, quand après s’être dressé à l’aide du petit bâton pendu à une corde au-dessus de ses mains, il voit que ce n’est pas encore sa mère, et retombe plus affaissé, plus désespéré que jamais. Comme pour tous ceux qui vont mourir, le peu de vie qui lui reste, ce fil ténu qui va s’amincissant, trop fragile pour le rattacher aux années robustes de la jeunesse, le ramène aux premières heures de son existence. Il redevient enfant. Ce n’est plus le mécanicien Jack, c’est le petit Jack (par un k), le filleul de lord Peambock, le blondin tout en velours d’Ida de Barancy, qui attend sa mère…

Personne.

Et pourtant il en vient du monde, des femmes, des enfants, des tout petits qui s’arrêtent surpris en voyant la maigreur du père, sa capote de convalescent, et poussent des cris d’admiration, que la religieuse a beaucoup de peine à calmer, devant les merveilles de son petit autel. Mais la mère de Jack ne vient pas. La porteuse de pains est à bout d’éloquence. Elle a tout invoqué, la maladie de d’Argenton, le dimanche qui encourage aux promenades ; maintenant elle ne sait plus que dire, et pour se donner une contenance,