Page:Daudet - Jack, II.djvu/37

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Il ne bouge plus, n’a pas même la force de s’enfuir pour échapper à cet abandon, à cette solitude qui l’épouvante, et resterait là étendu sur ce banc, comme ils font tous, dans un anéantissement qui n’est pas le sommeil, si un cri bien connu, cri sauveur, cri de délivrance, ne l’arrachait à sa torpeur :

Chapeaux ! chapeaux ! chapeaux !

Il appelle : « B’lisaire… »

C’est Bélisaire. Jack essaye de se dresser, de lui expliquer qu’il a tiré « une bor… bor… bordée ; » mais il ne sait s’il y parvient. En tout cas, il s’appuie sur le camelot dont la démarche est au diapason de la sienne, aussi clopinante, aussi pénible, mais soutenue au moins par une vigoureuse volonté. Bélisaire l’emmène, le gronde doucement. Où sont-ils ? où vont-ils ? Voilà les quais éclairés et déserts… Une gare… C’est bon un banc pour s’allonger…

Quoi donc ? Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’on lui veut ? On le réveille. On le secoue. On le bouscule. Des hommes lui parlent très fort. Ses mains sont prises dans des mains de fer. Ses poignets attachés avec des cordes. Et il n’a pas seulement le courage de résister, car maintenant le sommeil est plus fort que tout. Il dort dans quelque chose qui a l’air d’un wagon. Il dort ensuite dans un bateau où il fait bien froid, mais où il ronfle tout de même, roulé au fond, incapable de mouvement. On le réveille encore, on le porte, on le tire, on le pousse. Et quel soula-