Page:Daudet - Jack, II.djvu/41

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tous les replis. Il essayait de reconstruire sa journée de la veille, et tout ce qu’il en apercevait le remplissait d’épouvante. Ah ! s’il avait pu ne plus se souvenir.

Mais avec une implacable cruauté, son second « moi », réveillé tout à fait, lui rappelait toutes les folies qu’il avait faites ou dites dans la journée. Cela sortait de la confusion du rêve, morceau par morceau. L’autre n’avait rien oublié, et, qui plus est, donnait des preuves à l’appui : un chapeau de matelot qui avait perdu son ruban… une ceinture bleue… des débris de pipes, de tabac dans ses poches avec des restes de monnaie infime. À chaque nouvelle révélation, Jack avait des rougeurs dans l’ombre, des exclamations de colère et de dégoût, les mouvements désespérés de l’orgueil devant la honte irréparable. À une de ces exclamations plus fortes que les autres, un gémissement lui répondit.

Il n’était pas seul. Il y avait quelqu’un avec lui, une ombre assise là-bas sur la pierre d’une de ces profondes embrasures d’autrefois, taillées dans toute l’épaisseur des murailles.

— Qui est ça ? se demandait Jack avec inquiétude ; et il regardait se découper sur la blancheur du mur passé à la chaux cette silhouette grotesque et immobile qui avait des affaissements de bête, des angles irréguliers et ressortants. Un seul être au monde était assez difforme pour un pareil reflet : Bélisaire… Mais qu’est-ce que Bélisaire serait venu faire là ?… Pour-