Page:Daudet - Jack, II.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seaux ; puis, çà et là, une ruine du temps de Louis XI, et quelques-uns de ces jolis châteaux, nombreux sur les bords de la Loire, au fronton desquels la salamandre se tord parmi des D entrelacés.

Avec ce désœuvrement de la solitude et de l’attente à qui tout est bon pour fixer la pensée errante, d’Argenton regardait depuis un moment une troupe de travailleurs occupés à creuser, dans la petite vallée qui s’arrondissait en coupe sous ses pieds, une sorte de canal pour l’écoulement des eaux. S’étant approché de quelques pas pour mieux voir, il s’aperçut que ces gens, uniformément vêtus de blouses bleues, de pantalons en gros treillis, et qu’il avait pris de loin pour des paysans, étaient tous des enfants, enrégimentés sous les ordres d’une espèce de surveillant, moitié paysan, moitié monsieur, qui dirigeait les coups de bêche, traçait les limites du ruisseau.

Le silence de ce travail en plein air, exécuté par d’aussi jeunes ouvriers, était surtout frappant. Pas un mot, pas un cri, pas même cette excitation de l’être en mouvement qui sent et exerce sa force.

— Plus droit… Pas si vite… criait le surveillant ; et les outils s’escrimaient, les visages en sueur se penchaient vers la terre ; et par moments, quand ils se relevaient pour prendre haleine, on voyait des fronts étroits, des crânes pointus, des têtes qui portaient toutes une marque d’atrophie, de dépérissement ou de désordre. Assurément, ces enfants n’avaient pas été