Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/131

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dure, ne se déridait que pour Romain, « son pensionnaire chéri ».

Et tout bas, pendant qu’elle allait et venait, l’éclusier racontait que personne n’était plus gai dans les temps que ces Damour ; mais ils avaient perdu une fille, une grande belle demoiselle de l’âge de mamzelle Éline. De chagrin, l’homme s’était mis à boire tant et tant qu’il finissait à Vaucluse chez les fous ; et la femme, restée seule, n’avait pas le cœur à rire, cré cochon !

« De quoi donc est-elle morte, cette pauvre petite ? » demanda Mme Ebsen qui couvait de l’œil en tremblant les dix-neuf ans fleuris et veloutés de son Éline.

« Paraîtrait, » fit Romain encore plus mystérieux, « paraîtrait que c’est la dame de Petit-Port qui lui a donné des mauvaises boissons… » Et sur un geste indigné de la jeune fille : « Écoutez donc !… Je dis ce que dit la mère… Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’enfant est morte au château et que, dans le pays, on en cause encore, quoiqu’il y ait des années de ça… »

L’hôtesse apportait dans une casserole toute dorée au feu une tanche superbe, pêchée par Romain dans la réserve réglementaire à deux