Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/173

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dans un air lourd au bord de ruisseaux puants, plein de chansons d’ivrognes, de cris d’enfants affamés, de commérages avachis au pas des portes. Plus loin, le luxe des beaux quartiers, les cafés débordant jusque sur la chaussée, ces hommes, ces femmes, ce va et vient blafard sous le gaz, l’attristaient encore davantage. C’était comme un bal masqué dont on n’entendait pas la musique, un tourbillon de mouches folles dans le soleil, autour de l’arbre de la mort… Oh ! la riche moisson d’âmes. Que ce serait beau de montrer le Sauveur à tous ces repus du plaisir ! Et elle ressentait à cette idée, comme là-bas sur l’estrade, quelque chose qui la soulevait intérieurement, une montée douce et puissante…

Il pleuvait maintenant ; une averse d’équinoxe balayant les boulevards, remplissant les bureaux de correspondance, les dessous de porche, de gens effarés et pataugeant dans l’eau en fourmis noyées. Mme Ebsen dormait, bercée par la voiture, sa bonne figure abandonnée sur les brides de son chapeau. Éline pensait au terre à terre égoïste de leur vie. Avait-elle bien le droit d’être méprisante pour les autres ? Que faisait-