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Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/261

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quand au bout de tant de privations et de peines, la voilà grandie, et belle et savante… Ah ! si chandille… « Dieu m’appelle, je vais à lui ! »

Ses jambes fléchissaient. Il lui fallut s’arrêter sur un tas de pierres rougeâtres, des pierres de carrière débarquées là pour quelque construction parmi des orties et de ces grandes plantes qui gardent l’eau de pluie dans leurs calices verts comme dans des coupes de poison. Elle posa ses pieds tout mouillées sur la planche d’abordage, dont l’extrémité trempait encore dans la rivière, offrant une pente bien lisse, bien engageante à sa lassitude et à son désespoir. Mais elle n’y songea pas un instant, toute à une idée, une idée terrible, qui l’envahissait…

Et si cette femme avait dit vrai, si c’était vraiment Dieu qui lui eût pris sa fille, qui eût fait ce coup de voleur !… Car enfin cette Jeanne Autheman n’était pas magicienne, et, pour affoler ainsi de grandes filles de vingt ans, il fallait quelque chose de surnaturel. Des bouts de phrase entendus au prêche, des mots de livres saints prenaient tout à coup dans son cerveau troublé l’accent de feu des menaces bibliques… N’aimez point… Celui qui quittera son père et sa mère…