Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/272

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une tristesse, un reflet de misère de ville à la mélancolie des bois. Mais les bonnes heures pour la néophyte, c’était au rez-de-chaussée du chalet, dans la salle de prière, que l’avancée du balcon laissait à demi obscure. Là, bercée au refrain monotone des cantiques, elle s’abandonnait dans un délicieux hypnotisme qui peu à peu ébranlait sa tête faible, jusqu’à l’inconscience d’un léger vertige.

On se préparait à la prière par une méditation à genoux, le front contre la muraille, une absorption de tout l’être immobilisant ces corps de femmes dans des poses différentes, élancées, affaissées, tordues par l’effort de la volonté, ou bien jetées à l’abandon, à donner l’illusion qu’il n’y avait plus rien sous ces vêtements sans formes. Tout à coup celle qui se sentait prête, inspirée, venait se mettre devant la table, et debout, tendue et vibrante, improvisait la prière à haute voix. Moins des phrases que des cris, des élans, des invocations toujours les mêmes : « Jésus, Jésus, mon Sauveur, mon doux et bien-aimé Jésus !… Gloire, gloire !… secours, pitié pour mon âme ! » Mais il y avait dans ces improvisations une ardeur, une spontanéité d’effusion