Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/298

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sur le pavé vibrant comme un tremplin, pendant que les deux femmes essayaient de regagner leur coupé. Mme Ebsen parlait en gesticulant au milieu du vacarme : « Eh ! bien, moi toute seule, puisque tout le monde a peur !… » Des ouvriers déchargeant des bois la bousculèrent. Elle voulut s’écarter, frôla la roue d’un camion, et sourde, lourde, maladroite, effarée, poussait des petits cris d’enfant, quand Léonie vint la prendre par la main, songeant à ce que deviendrait la pauvre créature, si on la laissait se débattre toute seule dans son malheur. Non, elle ne l’abandonnerait pas. On aurait cette enquête dont parlait Raverand ; dès le lendemain M. d’Arlot verrait le ministre… « Oh ! vous êtes bonne, ma petite, » et dans la nuit de la voiture les larmes de la mère lui brûlaient ses gants.

C’était un vrai sacrifice que Léonie d’Arlot faisait à sa vieille amie, de s’adresser pour elle à son mari, un étranger du même toit, à qui rien de l’intime de sa vie ne devait plus être connu. Elle y pensait en revenant de la rue du Val-de-Grâce et se rappelait à mesure les détails sinistres de sa rancune, toujours saignante, comme si