Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/45

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Elle savait l’heure du bureau pour le père, les achats de la bonne, et quels jours venait l’homme au panier. La petite fille l’intéressait surtout, frileusement serrée contre sa gardienne, sautillant parmi les flaques d’eau, avec ses jambes grêles court-vêtues. Grand’mère soupçonnait cette femme d’être très méchante ; et connaissant dans ses moindres détails la toilette de la petite, ses deux robes de deuil à l’ourlet sorti, les talons tournés de ses bottines, elle s’indignait toute seule pendant des heures : « A-t-on jamais vu ? Mais ils l’estropieront, cette mignonne… comme si c’était difficile de remettre des talons. »

Elle surveillait si l’enfant avait son manteau, s’inquiétait, la sachant dehors par la pluie, et n’était contente que lorsqu’à l’angle de la rue et du boulevard Saint-Michel, elle apercevait entre deux volées de pigeons la Berrichonne plantée au bord du trottoir, le garçon d’une main, la petite de l’autre, attendant pour traverser, avec une terreur provinciale des voitures.

« Allez donc… passez donc… », murmurait grand’mère comme si on pouvait l’entendre, et derrière la vitre, elle leur faisait des signes.