Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/131

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différentes ! et plus c’est loin, mieux il se rappelle. « J’ai vu ça, moi. » Il s’arrête une minute à la fin de chaque anecdote, les yeux au lointain, vers le passé fuyant, puis repart sur une autre histoire. Il était chez Talma, à Brunoy, ou dans le boudoir de Joséphine, plein de boîtes à musique, de colibris en brillants, gazouillant et battant des ailes. Le voici qui déjeune avec Mme Tallien, rue de Babylone. Il la dépeint nue jusqu’aux flancs, ses beaux flancs en galbe de lyre, un long pagne de cachemire battant ses jambes à cothurnes, les épaules recouvertes par les cheveux frisés et tombants. Il a vu cela, lui, toute cette chair d’espagnole, grassouillette et pâle, nourrie de blancs-mangers ; et ce souvenir fait grésiller ses petits yeux sans cils au fond de leurs orbites.

Dehors sur la terrasse, dans la nuit tiède du jardin, on cause à mi-voix, des rires étouffés traversent l’ombre où les cigares font un cercle de points rouges. C’est Lavaux qui s’amuse à demander au jeune garde-noble pour Danjou et Paul Astier l’histoire de la barrette et du zucchetto : « Monsignor il me dit : Peppino…

— Et la dame, comte, la dame de la gare ?…

— Cristo, qu’elle était bella ! » dit l’Italien d’une voix sourde ; et, tout de suite, pour corriger ce qu’il y a de trop goulu dans son aveu, il ajoute doucereusement : « Sympathica, surtout, sympa-