Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/171

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dix-sept ou dix-huit voix acquises, le reste encore flottant, mais sympathique. Dîner très bien servi, très causant…

Ah ! j’y pense, j’ai invité Lavaux à Clos-Jallanges pendant les vacances de la Mazarine où il est bibliothécaire. On lui donnera la grande chambre en retour devant la Faisanderie. Je ne le crois pas très bon, ce Lavaux, mais il faut l’avoir, c’est le zèbre de la duchesse. T’ai-je dit que nos mondaines appellent ainsi l’ami garçon, oisif, discret, rapide, qu’on a toujours sous la main pour les courses, les démarches délicates dont on ne peut charger un domestique ? Sorte de courrier entre puissances, le zèbre, quand il est jeune, fait quelquefois de doux intérim ; mais d’ordinaire l’animal se montre sobre, facile à nourrir, se paye de menus suffrages, des places en bout de table et de l’honneur de piaffer pour la dame et pour son salon. J’imagine que Lavaux a su tirer autre chose de son emploi. Il est si adroit, si redouté malgré son air bonasse ; marmiton chef dans deux cuisines, comme il dit, l’académique et la diplomatique, il me signale les fondrières, chausse-trapes dont le chemin de l’Institut est miné et que mon maître Astier ignore encore. Pauvre grand naïf qui a fait l’ascension droit devant lui, sans se douter des dangers, les yeux vers la coupole, se fiant à sa force, à son œuvre, et qui se serait cent fois rompu