Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trer qu’en tenue et les mains intactes. Toutefois, je suis trop galant homme et j’estime trop mon adversaire pour me servir de ces armes cachées ; et Fage, le relieur de la Cour des Comptes, ce singulier petit bossu que je rencontre quelquefois dans l’atelier de Védrine, Fage, très au courant des curiosités de la bibliographie, a été rudement remis à sa place quand il m’a proposé un des exemplaires signés de Toute Nue. « Ce sera pour M. Moser, » a-t-il répondu sans s’émouvoir.

À propos de Védrine, ma situation devient embarrassante. Dans la ferveur de nos premières rencontres, je l’avais engagé à nous amener sa femme, ses enfants, à la campagne ; mais comment concilier son séjour avec celui des Astier, des Lavaux qui l’abominent ? C’est un être si rude, si original ! Comprends-tu qu’il est noble, marquis de Védrine, et que même à Louis-le-Grand il cachait déjà son titre et sa particule, que tant d’autres envieraient en ce temps de démocratie où tout s’acquiert excepté cela. Son motif ? Il veut être aimé pour lui-même ; tâche de comprendre. En attendant, la princesse de Rosen refuse le paladin, sculpté pour le tombeau du prince et dont on parlait sans cesse dans cette maison d’artistes souvent à court. « Quand nous aurons vendu le paladin, on m’achètera un cheval mécanique… » disait l’enfant, et la pauvre mère comptait aussi sur le pa-