Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/186

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provincial enchanté de la rencontre, un peu confus tout de même, car le sculpteur parlait haut et librement, à son habitude. « Hein ! ce veinard de Loisillon… autant de monde que Béranger… voilà qui doit donner du cœur au ventre à la jeunesse… » Tout à coup, voyant Freydet se découvrir à l’apparition du cortége : « Qu’as-tu donc de changé ? Tourne-toi… Mais, malheureux, tu ressembles à Louis-Philippe … » La moustache abattue, coiffé en toupet, sa bonne figure rougeaude et brune épanouie entre des favoris grisonnants, le poète redressait toute sa petite personne avec une raideur cérémonieuse. Et Védrine riant : « Ah ! je comprends… la tête pour les ducs, pour Chantilly !… Ça te tient toujours, alors, l’Académie ?… Mais regarde donc cette mascarade !… »

Sous le soleil, dans le large espace réservé, l’effet était abominable : derrière le corbillard, des membres du bureau, qu’une féroce gageure semblait avoir choisis parmi les plus ridicules vieillards de l’Institut et qu’enlaidissait encore le costume dessiné par David, l’habit à broderies vertes, le chapeau à la française, l’épée de gala battant des jambes difformes que David n’avait certainement pas prévues. Gazan venait le premier, le chapeau de travers sur les inégalités de son crâne, le vert végétal de l’habit accentuant encore