Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour venir jusque-là, dans ce guêpier d’ennui, lui qui ne s’ennuyait jamais qu’avec un but. Sans doute encore l’argent, l’horrible argent. Heureusement elle en aurait bientôt ; le mariage de Samy les ferait riches. Désireuse d’aller à lui, de le rassurer d’une bonne nouvelle qu’il ignorait peut-être, elle devait rester en place, regarder la scène, faire chorus avec la dame : « Oh ! ce Coquelin… Oh ! ce Delaunay… Oh !… Ah !… » Dur supplice pour elle, cette attente ; pour Paul aussi qui ne voyait rien que la barre éclatante et chaude de la rampe, et reflétée dans le panneau de glace du côté, une partie de la salle, fauteuils, loges et parterre, des rangées de physionomies, d’atours, de chapeaux, comme noyés dans une gaze bleuâtre, avec l’aspect décoloré, fantômatique des objets entrevus sous l’eau. À l’entr’acte, corvée des compliments :

« Et la robe de Reichemberg, av’ vous vu, monsieur Paul ?… ce tablier de jais rose ?… cette quille en rubans ?… av’ vous vu ?… Non, vraiment, on ne s’habille qu’ici. »

Des visites arrivaient. La mère put ravoir son fils, l’entraîner sur le divan, et là, parmi les boas, les sorties, ils parlaient bas, de tout près.

« Réponds vite et net, commença-t-il… Samy se marie ?

— Oui, la duchesse le sait depuis hier… Mais