Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/214

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de la voiture par des comparaisons intimes entre sa mise, sa beauté et celles qu’elle vient de regarder, ruminant des arrangements d’intérieur ou de toilette. Cependant la grimace pour le monde est tellement effrontée, l’hypocrisie de société si énorme, qu’on serait curieux d’assister à l’immédiate détente après la pose officielle, de saisir le vrai des accents, des natures, les rapports réels de ces êtres, tout à coup libérés et défublés, dans ce coupé filant à travers le Paris désert entre les reflets de ses lanternes.

Pour les Astier, ces retours étaient très significatifs. Aussitôt seule, la femme quittait la déférence et l’intérêt maintenus dans le monde pour le maître, parlait raide, prenait sa revanche de son attention à écouter des histoires cent fois entendues, qui l’hébétaient d’ennui ; lui, bienveillant de nature, toujours content de soi et des autres, revenait régulièrement enchanté, stupéfait chaque fois des horreurs que sa femme débitait sur la maison amie, les personnes rencontrées, allant tranquillement aux accusations les plus abominables avec cette légèreté, cette exagération inconsciente des propos qui est la dominante des relations parisiennes. Alors, pour ne pas l’exciter davantage, il se taisait, faisait le gros dos, volait un petit somme dans son coin. Ce soir-là, par exemple, Léonard Astier se carra, sans faire attention au « prenez