Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/222

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Comme le landau s’ébranlait, la fenêtre d’un « cabinet de société » s’ouvrit au premier étage devant un couple qui apparut curieusement : une longue fille frêle aux yeux d’un bleu de lin, en corset, les bras nus, la serviette du déjeuner cachant mal la gorge et les épaules. Près d’elle un avorton barbu, un nain de la foire dont on ne voyait que la tête pommadée surmontant à peine la barre d’appui, et le bras disproportionné jeté en tentacule autour de la taille penchée de Marie Donval l’ingénue du Gymnase. Le docteur la reconnut tout haut. « Avec qui donc est-elle ? » Les autres se retournèrent ; mais la fille avait disparu, laissant seule cette longue tête de bossu, comme coupée, posée au bord de la fenêtre.

« Eh ! c’est le père Fage… » Védrine saluait de la main, et, s’amusant de l’indignation de Freydet : « Quand je te disais !… les plus jolies filles de Paris…

— Quelle horreur !

— Ça vous étonne, M. de Freydet ? » Paul Astier commença un farouche éreintement de la femme… Une enfant détraquée, avec tout le pervers, tout le mauvais de l’enfant, ses instincts de tricherie, de menterie, de taquinerie, de lâcheté… Et gourmande, et vaniteuse, et curieuse ! Du bagout, mais pas une idée à elle, et, dans la discussion, pleine de trous, de tournants, de glissades,