Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/25

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être tranquille : « Seulement, que veux-tu ? il se cache, il se méfie… le paysan terre ses sous, nous lui en avons trop fait. » Ils parlaient tout bas, en complices, les yeux sur le tapis.

« Et bon papa ? fit Paul sans conviction, si tu essayais ?…

— Bon papa ? tu es fou !… »

Il le connaissait pourtant bien, le vieux Réhu et son égoïsme farouche de quasi-centenaire qui les eût tous regardés mourir plutôt que de se priver d’une prise de tabac, d’une seule des épingles dont les revers de sa redingote étaient toujours piqués. Ah ! le pauvre enfant, fallait-il qu’il fût à bout pour qu’une idée pareille lui vînt !

« Voyons !… veux-tu que je demande ?…

— À qui ?

— Rue de Courcelles… En avance sur le tombeau.

— Je te le défends bien, par exemple ! » Il lui parlait en maître, les lèvres pâles, l’oeil mauvais ; puis de suite reprenant sa mine fermée, un peu railleuse :

« Ne t’occupe plus de ça… ce n’est qu’une crise à passer… J’en ai vu bien d’autres. »

Elle lui tendit son chapeau qu’il cherchait, prêt à partir puisqu’il ne pouvait rien tirer d’elle ; et pour le retenir quelques instants de plus, elle lui