Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/294

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vieux rapporteur, en train de faire des effets nautiques devant la belle Antonia, manqua s’effondrer sur sa banquette ; et, le fou rire un peu calmé, Védrine expliquait le singulier intérêt que l’enfant portait à Jean Réhu qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait jamais vu, seulement à cause de ses cent ans qui approchaient. Le beau petit s’informait chaque jour du vieil homme, demandait : « Comment va-t-il ? » et c’était chez ce tout petit être un respect de la vie presque égoïste, l’espoir d’y arriver, lui aussi, à ses cent ans, puisque d’autres les pouvaient vivre.

Mais l’air fraîchissait, faisait flotter les voilettes de voyage, tout le pavoisement des petites flammes. Une masse de nuées s’avançait du côté de Blois ; et vers Mousseaux dont les quatre lanternes au faîte des tourelles étincelaient sous le ciel noir, un réseau de pluie envoilait l’horizon. Il y eut un moment de hâte, de bousculade. Pendant que les barques s’éloignaient entre les bancs de sable jaune, toutes dans le même sillage à cause de l’étroitesse des chenaux, amusé par cet éclat de couleurs sous le ciel orageux, ces belles silhouettes de mariniers debout à l’avant, forçant sur leurs longues perches, Védrine se tournait vers sa femme à genoux dans le bachot, occupée à empaqueter les enfants, à serrer la boîte, la palette : « Regarde ça, maman… tu sais, quand je