Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les verveux et les rames de la petite flottille. Ils voyaient de là les pelouses en pente, les hautes et basses futaies éclairées et dorées par places, découvrant le château qui, la plupart des fenêtres closes, ses terrasses désertes, et dressant l’orgueil de ses lanternes et de ses tours, semblait grandi, rentré dans l’histoire.

« Quel dommage de quitter tout cela… » dit-il dans un soupir. Elle le regarda, stupéfaite, le front orageux et contracté… Partir, il voulait partir… et pourquoi ?

« La vie, hélas ! il faut bien…

— Nous séparer !… et moi ? et ce grand voyage que nous devions faire ensemble ?

— Je vous laissais dire… »

Mais est-ce qu’un pauvre artiste comme lui pouvait se payer une promenade en Palestine ? Des rêves cela, irréalisables… La dabbieh de Védrine, un bachot sur la Loire.

Elle haussa ses belles épaules patriciennes : « Voyons, Paul, quel enfantillage !… Est-ce que tout ce que j’ai n’est pas à vous ?

— À quel titre ? »

Ce fut dit ! mais elle ne devinait pas encore où il allait en venir. Et lui, craignant d’être parti trop vite :

« Oui, quel titre au jugement étroit du monde pour voyager avec vous ?