Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/334

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moi bien, Paul, » dit Léonard Astier, l’index levé dans la figure du garçon, « si cette chose dont tu parles s’accomplit, ne compte pas me revoir jamais… Je ne serai pas là le jour de ton mariage… Je ne veux pas de toi, même à mon lit de mort… Tu n’es plus mon fils… Je te chasse et je te maudis. » Paul répondit, très calme, avec une retraite de corps devant le doigt qui le frôlait : « Oh vous savez, mon cher père … maudire, bénir, ce sont de ces affaires qui ne se font plus dans les maisons. Même au théâtre, on ne maudit plus, on ne bénit plus.

— Mais on châtie encore, monsieur le drôle ! » gronda le vieux, la main haute. Il y eut un cri furieux de la mère : « Léonard !… » tandis que d’une alerte parade de boxe, Paul détournait le coup, aussi tranquille que dans la salle de Keyser, et sans lâcher le poignet rabattu, murmurait : « Ah ! non, pas ça, jamais !… »

Le vieil Auvergnat, furieux, essayait de se dégager. Mais si vigoureux qu’il fût encore, il avait trouvé son maître ; et pendant cet horrible instant où le père et le fils se soufflaient leur haine dans la figure, croisaient des regards d’assassins, la porte du salon s’entre-bâilla, laissant passer le sourire poupin et bon enfant d’une grosse dame panachée de plumes et de fleurs : « Pardon, cher maître, rien qu’un mot … tiens ! Adélaïde est là…