Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/338

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tranchait violemment le noir mat des toges et des toques. Et du monde arrivait encore par le tambour de l’entrée dont les deux portes battaient continuellement sous un flot moutonnant de têtes serrées, dressées, soulevées dans la lumière blanche du palier.

Toutes connues, archi-connues, banales à faire pleurer, ces effigies des fêtes parisiennes, enterrements chics ou grandes premières : Marguerite Oger à l’avant-garde, et la petite comtesse de Foder, et la belle Mme Henry de la légation américaine. Puis les dames congréganistes de l’Académie : Mme Ancelin en mauve, au bras du bâtonnier Raverand ; Mme Eviza, un buisson de petites roses, entourée d’un essaim noir et bourdonnant de jeunes stagiaires ; et, derrière le tribunal, aux places réservées, Danjou, debout, les bras croisés, dominant l’assistance et les juges, détachant sur la vitre haute son profil aux dures arêtes régulières de vieux cabot qu’on voit partout depuis quarante ans, prototype de la banalité mondaine et de ses uniformes manifestations. À part Astier-Réhu et le baron Huchenard cités comme témoins, il était le seul académicien ayant osé affronter les plaidoiries, surtout l’avocat d’Albin Fage, ce terrible ricaneur de Margery dont le « couin » nasillard fait pouffer, rien qu’à l’entendre, la salle et le tribunal.