Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/343

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la chambre d’Albin Fage, ravies de la réclame qu’allait leur valoir le procès, riant très haut, étalant d’ébouriffants « directoire » en contraste avec le bonnet de linge et les mitaines en tricot de la concierge de la Cour des Comptes. Védrine cité lui aussi, Freydet vint s’asseoir à son côté sur le large rebord de la fenêtre ouverte. Pris, emportés dans ces courants contraires qui, à Paris, séparent les existences, les deux camarades ne s’étaient plus revus, depuis l’été d’avant, qu’aux obsèques récentes de la pauvre Germaine. Et Védrine serrait les mains de son ami, s’informait de sa santé, de son état d’esprit après ce coup terrible. Le candidat haussa les épaules : « C’est dur… certainement, c’est dur, mais que veux-tu ? J’y suis fait… » L’autre arrondissant les yeux en face d’un aussi farouche égoïsme… « Dame ! pense donc… deux fois, en un an, qu’ils me retoquent… »

Le coup terrible, le seul, pour lui, c’était son échec au fauteuil de Ripault-Babin qui venait de lui échapper comme celui de Loisillon ; il comprit ensuite, poussa un profond soupir… Ah ! oui… Sa Germaine… Elle s’en était donné du mal tout l’hiver pour cette malheureuse candidature… Deux dîners par semaine, et jusqu’à minuit, une heure du matin, manœuvrant son fauteuil mécanique dans tous les coins du salon… Elle y avait sacrifié ses dernières forces, plus passionnée encore, plus