Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/357

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impression de vide et d’espoir mystifié ; dans le fiacre qui le ramenait chez lui pour quitter l’habit vert, il se disait : « Comment ! J’y suis ?… Ce n’est que ça ! » Depuis, à force de se mentir, de répéter avec ses collègues que c’était bon, exquis, les délices des délices, il a fini par y croire… Mais, à présent, le voile est tombé, il y voit clair et voudrait crier par cent voix à la jeunesse française : « Ce n’est pas vrai… On vous trompe… L’Académie, un leurre, un mirage !… Faites votre route et votre œuvre en dehors d’elle… Surtout, ne lui sacrifiez rien, car elle n’a rien à vous donner de ce que vous n’apporterez pas, ni le talent, ni la gloire, ni le suprême contentement de soi… Ce n’est ni un recours, ni un asile, l’Académie !… Idole creuse, religion qui ne console pas. Les grandes misères de la vie vous assaillent là comme ailleurs… On s’y est tué, sous cette coupole ; on y est devenu fou ! Et ceux qui dans leur détresse se sont tournés vers elle, qui lui ont tendu des bras découragés d’aimer ou de maudire, n’y ont étreint qu’une ombre… et le vide… le vide… »

Il parle tout haut, tête nue, tenant le parapet à deux mains, le vieux professeur, comme autrefois, à son cours, au rebord de sa chaire. En bas, le fleuve roule, nuancé de nuit, entre ses files de réverbères, qui clignotent avec cette vie silen-