Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/37

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de la santé de Loisillon, le secrétaire perpétuel de l’Académie, qu’on disait de plus en plus bas. Le poste de Loisillon, son appartement à l’Institut, devaient revenir à Léonard Astier comme une compensation à l’emploi qu’il avait perdu, et quoique lié de cœur avec ce collègue mourant, l’espoir d’un bon traitement, d’un logis aéré, commode, et quelques autres avantages, enveloppaient cette fin prochaine de perspectives agréables dont Léonard avait honte peut-être, mais qu’il envisageait naïvement dans l’intimité de son ménage. Eh bien ! non, même cela ne le déridait pas aujourd’hui.

« Pauvre M. Loisillon, sifflait Mme Astier, voilà que maintenant il ne trouve plus ses mots : Lavaux nous racontait, hier, chez la duchesse, il ne sait plus dire que « bi… bibelot… bi… bibelot ! » — Elle ajouta, pinçant ses lèvres, son long cou dressé : « Et il est de la commission du dictionnaire. »

Astier Réhu ne sourcilla pas.

« Le trait a du bon… dit-il en faisant claquer sa mâchoire, l’air doctoral… Mais j’ai écrit quelque part dans mon histoire : En France il n’y a que le provisoire qui dure… » Il prononçait histoâre, provisoâre… « Voilà dix ans que Loisillon est à la mort… Il nous enterrera tous. » Il répéta furieux, tirant sur son pain dur : « tous… tous… »