Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/68

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tu admirais, s’en allait le front haut, de lents gestes descriptifs, l’air planant et superbe d’une promenade élyséenne que suivait à distance Mme Védrine poussant la petite voiture où riait une fillette, née depuis leur voyage en Touraine.

« Ça lui en fait trois, moi compris, » m’a dit Védrine montrant sa femme ; et c’est bien vrai que dans le regard dont elle couve son mari, il y a la maternité paisible et tendre d’une madone flamande en extase devant son fils et son Dieu. Causé longtemps debout contre le parapet du quai ; cela me faisait du bien d’être avec ces braves gens. En voilà un, Védrine, qui se moque du succès, et du public, et des prix d’Académie. Apparenté comme il est, cousin des Loisillon, du baron Huchenard, il n’aurait qu’à vouloir, à teinter d’un peu d’eau son vin trop raide ; il obtiendrait des commandes, le prix biennal, serait de l’Institut demain. Mais rien ne le tente, pas même la gloire. « La gloire, me disait-il, j’en ai goûté deux ou trois fois, je sais ce que c’est… tiens, il t’arrive en fumant de prendre ton cigare à rebours, eh bien ! c’est ça la gloire. Un bon cigare dans la bouche par le côté du feu et de la cendre…

— Mais enfin, Védrine, si tu ne travailles ni pour la gloire ni pour l’argent…

— Oh ! ça…