Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/78

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flée, sa bouche de travers, pleine de bouillie, tutoyant, rudoyant ses élèves. Et toujours, à la fin de chaque récit, l’Ancêtre témoin de tant de choses a un hochement de tête, regarde au loin, et de sa voix forte dit : « J’ai vu ça, moi… » mettant en quelque sorte une signature d’authenticité au bas du tableau.

Je dois dire qu’à part Dalzon qui buvait hypocritement ses paroles, j’étais seul dans le salon à m’intéresser aux récits de ce patriarche, plus curieux pour moi que les historiettes d’un certain Lavaux, journaliste, bibliothécaire, je ne sais trop, en tout cas terriblement bavard et renseigné. Dès qu’il est arrivé : « Ah ! voilà Lavaux… Lavaux… » et tout de suite un cercle autour de lui, on rit, on s’ébat ; le plus sourcilleux des immortels se délecte aux anecdotes de ce gros homme, sorte de chanoine papelard et rasé, la face rubiconde, les yeux en bille, entremêlant ses potins et ses discours de : « Je disais à de Broglie… Dumas me racontait, l’autre soir… Je tiens