Page:Daudet - La Belle-Nivernaise, 1886.djvu/212

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d’eau, quelle ironie ! Il fallut bien deux mois pour me décider à cette visite. Un jour pourtant, je pris mon parti. En dehors de ses mercredis officiels, Augustine Brohan donnait le dimanche des matinées plus intimes. Je m’y rendis résolument.

À Paris, une matinée qui se respecte ne saurait décemment commencer avant trois et même quatre heures de l’après-midi. Moi, naïf, prenant au sérieux ce mot de matinée, je me présentai à une heure précise, croyant d’ailleurs être en retard.

« — Comme tu viens de bonne heure, monsieur, me dit un garçonnet de cinq ou six ans, blondin, en veston de velours et en pantalon brodé, qui se promenait à travers le jardin verdissant, sur un grand cheval mécanique. Ce jeune homme m’impressionna. Je saluai les cheveux blonds, le cheval, le velours, les broderies, et, trop timide pour rebrousser chemin, je montai. Madame achevant de s’habiller, je dus attendre tout seul une demi-heure. Enfin, madame arrive, cligne des yeux, reconnaît le prince valaque et pour dire quelque chose, commence : « — Vous n’êtes donc pas à la Marche, mon prince ? » À la Marche, moi qui n’avais jamais vu ni courses ni jockeys ! À la fin, cela me fit honte, une bouffée subite me monta du cœur au cerveau ; et puis ce clair soleil, ces odeurs de jardin au printemps entrant par la fenêtre ouverte, l’absence de solennité, cette petite