Page:Daudet - La Belle-Nivernaise, 1886.djvu/250

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chose affreuse. Comme Gaspard criait toujours : « Je n’irai pas… je n’irai pas ! » on l’attacha solidement. Le malheureux mordait, écumait, appelait sa tante qui était remontée toute tremblante et pleurant. Puis, pendant qu’on attelait le char à bancs, l’oncle voulut nous faire manger. Moi, je n’avais pas faim, vous pensez ; mais M. Klotz se mit à dévorer, et tout le temps le meunier lui faisait des excuses pour les injures que Gaspard lui avait dites à lui et à Sa Majesté l’empereur d’Allemagne. Ce que c’est que d’avoir peur des gendarmes !

Quel triste retour ! Gaspard, étendu au fond de la charrette sur de la paille, comme un mouton malade, ne disait plus un mot. Je le croyais endormi, affaissé par tant de colères et de larmes, et je pensais qu’il devait avoir bien froid, nu-tête et sans manteau comme il était ; mais je n’osais rien dire de peur du maître. La pluie était froide. M. Klotz, son bonnet fourré bien descendu jusqu’aux oreilles, tapait le cheval en chantonnant. Le vent faisait danser la lumière des étoiles et nous allions, nous allions sur la route blanche et gelée. Nous étions déjà loin du moulin. On n’entendait presque plus le bruit de l’écluse, quand une voix faible, pleurante, suppliante, monta tout à coup du fond de la charrette et cette voix disait, dans notre patois d’Alsace : « Losso mi fort gen, herr Klotz… Laissez-moi m’en aller, monsieur Klotz. » C’était si triste à entendre