Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/318

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téméraire agent se rendit en arrivant. N’osant entrer dans la maison de peur d’être vu par les gens, il frappa aux vitres du salon. Boisé-Lucas ouvrit la croisée. Chateaubriand se nomma, expliqua sa présence par le très naturel désir d’avoir des nouvelles de sa sœur, de laquelle il était séparé depuis deux ans. Boisé-Lucas avait du monde. Il fit néanmoins entrer son ami, mais en secret et lui accorda l’hospitalité pour la nuit. Au matin, il le conduisit chez un de ses voisins, royaliste comme lui, où il espérait lui trouver un asile. Le voisin terrifié ne voulut pas recevoir ce voyageur suspect. Force fut à Boisé-Lucas de ramener ce dernier dans sa maison et de le cacher. Chateaubriand se décida à se confier à son hôte. Il lui révéla les causes véritables de son arrivée en France, le désir qu’il nourrissait de trouver deux émissaires pour les expédier l’un à Paris, l’autre à Brest. Boisé-Lucas se récria, montra le péril de ces sortes d’aventures, rappela que Prijent et Goyon-Vaucouleurs allaient comparaître devant un conseil de guerre. Il supplia Chateaubriand de ne pas s’exposer au même sort, de n’y pas exposer ses amis. C’était prêcher dans le désert. Chateaubriand protestait contre l’idée de rentrer à Jersey sans avoir rempli sa mission.

Dans l’embarras où son entêtement jetait Boisé-Lucas, celui-ci crut devoir consulter son fils, étudiant en droit à la Faculté de Rennes, encore en vacances à cette époque de l’année, et son gendre M. de Bergerac, qui se trouvait de passage en sa maison. M. de Bergerac déclara ne vouloir tremper en rien dans cette affaire, et retourna chez lui. Quant au jeune Boisé-Lucas, il n’y vit que l’occasion inespérée qui lui était offerte à l’improviste de faire un voyage à Paris. C’était un aimable garçon. Il voulait devenir auditeur au Conseil d’État. Il plaisait aux femmes. À Rennes et même dans son village,