Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/48

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aux plus pénibles formalités. Tant pis pour qui va grossir cette population misérable ! Il est à craindre qu’il ne parvienne pas à briser ses chaînes et, s’il les brise, à éviter les douloureuses aventures comme celles de cette femme Leguilloux, mère de vingt-quatre enfants morts ou vivants, dont plusieurs sont soldats, condamnés à trois mois de prison pour avoir logé Saint-Régent, retenue dix mois de plus et qu’on interne ensuite dans le Haut-Rhin, quand son mari l’attend en Bretagne.

Voilà, entre tant d’autres faits, ce que révèlent la plupart des dossiers, le caractère arbitraire et impitoyable du pouvoir impérial. Ils révèlent surtout avec quelle rigueur est exercée la surveillance policière dans Paris.

Le 5 mai 1809, le commandant du fort de Vincennes fait arrêter et envoie au ministère de la Police une jeune femme qui a été surprise, sous les murailles du donjon, faisant des signes aux détenus. Conduite au bureau de Réal, elle avoue qu’elle est Allemande, âgée de vingt-six ans, et qu’elle se nomme Caroline Savoye. Depuis plusieurs années, elle aime Jules de Polignac, qui expie à Vincennes sa participation au complot de Georges. Elle l’a connu dans l’émigration. Elle est venue à Paris pour essayer de se rapprocher de lui. Réal a cru d’abord à une tentative d’évasion. Il s’aperçoit bientôt qu’il ne s’agit que d’un roman d’amour. Néanmoins les sentiments que manifeste Caroline Savoye pour le prisonnier peuvent engendrer quelque résolution imprudente contre laquelle il convient de la protéger. Ordre est donné de la ramener en Allemagne. Jules de Polignac, qui ne sortit de prison qu’en 1814, a-t-il jamais connu l’acte de dévouement dont il avait été l’objet ?

Ainsi, dans ces pièces manuscrites, dont quelques-unes tombent en lambeaux, revit tout un passé qui a vu