Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/93

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voie, ils échangeaient leurs idées à toute heure du jour. Fréquemment, le marquis s’en servit pour faire goûter à ses compagnons son excellent vin, au moyen d’un tuyau de carton. « Il versait de sa bouteille dans un bout du tuyau, dit Moulin dans ses mémoires[1], et nous en mettions une autre sous le bout qui était de notre côté. » Le commandant Lefèvre s’étonnait que le marquis de Rivière pût absorber une si grande quantité de liquide, sans en être incommodé. Il ne se doutait pas que le rigoureux secret auquel celui-ci était astreint recevait du matin au soir d’innombrables entorses.

Ces communications incessantes constituaient pour les prisonniers d’agréables passe-temps. Ce n’était pas assez cependant pour les détourner du projet de fuite que Moulin caressait depuis son arrivée, et auquel Girod, d’Hauteroche et Frotté n’avaient pas tardé à se rallier. Lorsque, pour la première fois, ils en entretinrent le marquis de Rivière en lui demandant s’il voulait s’unir à eux pour l’exécuter en commun, il leur répondit par un refus. C’est à cette occasion qu’ils apprirent qu’un engagement d’honneur l’empêchait de rien entreprendre pour recouvrer sa liberté et qu’il pouvait d’autant moins le violer que plusieurs de ses parents habitant Paris avaient répondu de lui. Mais, s’il était enchaîné par sa parole, il ne laissa pas d’encourager ses amis dans leurs desseins et de leur promettre de les aider de tout son pouvoir.

Pour commencer, il leur fit passer un plan du fort, dressé d’après celui qui était déposé dans les archives et que le commandant lui avait prêté. L’étude de ce plan, la lecture des mémoires du baron de Trenck qu’ils trouvèrent parmi les livres qu’ils recevaient de Besançon

  1. Publiés par la Société d’histoire contemporaine.