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Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/123

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à la fois délicieux et terrible ; délicieux, car elle adorait Félicia, la seule attache familiale qui restât à cette pauvre vieille salamandre en retraite après trente ans de « battus » dans les flamboiements du gaz ; terrible, car le démon fourrageait sans pitié l’intérieur de la danseuse, paré, soigné, parfumé, comme sa loge à l’Opéra, et garni d’un musée de souvenirs datés de toutes les scènes du monde.

Constance Crenmitz fut le seul élément féminin dans l’enfance de Félicia. Futile, bornée, ayant gardé sur son esprit le rose du maillot pour toute sa vie, elle avait du moins un soin coquet, des doigts agiles sachant coudre, broder, ajuster, mettre dans tous les angles d’une pièce leur trace légère et minutieuse. Elle seule entreprit de redresser le jeune sauvageon, et d’éveiller discrètement la femme dans cet être étrange sur le dos duquel les manteaux, les fourrures, tout ce que la mode inventait d’élégant, prenait des plis trop droits ou des brusqueries singulières.

C’est encore la danseuse — fallait-il qu’elle fût abandonnée, cette petite Ruys — qui, triomphant de l’égoïsme paternel, exigea du sculpteur une séparation nécessaire, quand Félicia eut douze à treize ans ; et elle prit de plus la responsabilité de chercher une pension convenable, une pension qu’elle choisit à dessein très cossue et très bourgeoise, tout en haut d’un faubourg aéré, installée dans une vaste demeure du vieux temps, entourée de grands murs, de grands arbres, une sorte de couvent, moins la contrainte et le mépris des sérieuses études.

On travaillait beaucoup au contraire dans l’institution de madame Belin, sans autres sorties que celles des grandes fêtes, sans communications du dehors que la