Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/143

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rés d’opium et des confitures de rose, la torpeur de son sang flamand compliquée de paresse orientale, en outre, mal élevée, gourmande, sensuelle, altière, un bijou levantin perfectionné.

Mais Jansoulet ne vit rien de tout cela.

Pour lui elle était, elle fut toujours jusqu’à son arrivée à Paris une créature supérieure, une personne du plus grand monde, une demoiselle Afchin ; il lui parlait avec respect, gardait vis-à-vis d’elle une attitude un peu courbée et timide, lui donnait l’argent sans compter, satisfaisait ses fantaisies les plus coûteuses, ses caprices les plus fous, toutes les bizarreries d’un cerveau de Levantine détraqué par l’ennui et l’oisiveté. Un seul mot excusait tout : c’était une demoiselle Afchin. Du reste, aucun rapport entre eux : lui toujours à la Casbah ou au Bardo, près du bey, à faire sa cour, ou bien dans ses comptoirs ; elle passant sa journée au lit coiffée d’un diadème de perles de trois cent mille francs qu’elle ne quittait jamais, s’abrutissant à fumer, vivant comme dans un harem, se mirant, se parant, en compagnie de quelques autres Levantines dont la distraction suprême consistait à mesurer avec leurs colliers des bras et des jambes qui rivalisaient d’embonpoint, faisant des enfants dont elle ne s’occupait pas, qu’elle ne voyait jamais, dont elle n’avait pas même souffert, car on l’accouchait au chloroforme. Un paquet de chair blanche parfumée au musc. Et, comme disait Jansoulet avec fierté : « J’ai épousé une demoiselle Afchin ! »

Sous le ciel de Paris et sa lumière froide, la désillusion commença. Résolu à s’installer, à recevoir, à donner des fêtes, le Nabab avait fait venir sa femme pour la mettre à la tête de la maison ; mais quand il vit débarquer cet étalage d’étoffes criardes, de bijouterie du