Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/153

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— Quand le jour sera venu, l’île se lèvera et votera pour vous, comme un seul homme.

Seulement, ce n’est pas tout d’avoir des électeurs ; faut encore qu’un siège soit vacant à la Chambre, et le Corse y comptait tous ses représentants au complet. L’un d’eux, pourtant, le vieux Popolasca, infirme, hors d’état d’accomplir sa tâche, aurait peut-être, à de certaines clauses, donné volontiers sa démission. C’était une affaire délicate à traiter, mais très faisable, le bonhomme ayant une famille nombreuse, des terres qui ne rapportaient pas le deux, un palais en ruine à Bastia, où ses enfants se nourrissaient de polenta, et un logement à Paris, dans un garni de dix-huitième ordre. En ne regardant pas à cent où deux cent mille francs, on devait venir à bout de cet honorable affamé, qui, tâté par Paganetti, ne disait ni oui ni non, séduit par la grosse somme, retenu par la gloriole de sa situation. L’affaire en était là, pouvait se décider un jour ou l’autre.

Pour la croix, tout allait encore mieux. L’œuvre de Bethléem avait décidément fait aux Tuileries un bruit du diable. On n’attendait plus que la visite de M. de la Perrière et son rapport qui ne pouvait manquer d’être favorable, pour inscrire sur la liste du 16 mars, à date d’un anniversaire impérial, le glorieux nom de Jansoulet… Le 16 mars, c’est-à-dire avant un mois… Que dirait le gros Hemerlingue de cette insigne faveur, lui qui, depuis si longtemps, devait se contenter du Nisham. Et le bey, à qui l’on avait fait croire que Jansoulet était au ban de la société parisienne, et la vieille mère, là-bas, à Saint-Romans, toujours si heureuse des succès de son fils !… Est-ce que cela ne valait pas quelques millions habilement gaspillés et laissés aux