Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/168

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des félicitations l’attend au 16 mars en tête du Journal officiel dans un décret qui flamboie d’avance à ses yeux et le fait loucher du côté de sa boutonnière.

Ces bonnes paroles s’échangent le long d’un grand corridor où les voix sonnent dans leurs intonations prudhommesques ; mais, tout à coup, un bruit épouvantable interrompt la conversation et la marche des visiteurs. Ce sont des miaulements de chats en délire, des beuglements, des hurlements de sauvages au poteau de guerre, une effroyable tempête de cris humains, répercutée, grossie et prolongée par la sonorité des hautes voûtes. Cela monte et descend, s’arrête soudain, puis reprend avec un ensemble extraordinaire. M. le directeur s’inquiète, interroge. Jenkins roule des yeux furibonds.

« Continuons, dit le directeur, un peu troublé cette fois… je sais ce que c’est. »

Il sait ce que c’est ; mais M. de la Perrière veut le savoir aussi, et, avant que Pondevèz ait pu l’ouvrir, il pousse la porte massive d’où vient cet horrible concert.

Dans un chenil sordide qu’a épargné le grand lessivage, car on ne comptait certes pas le montrer, sur des matelas rangés à terre, une dizaine de petits monstres sont étendus, gardés par une chaise vide où se prélasse un tricot commencé, et par un petit pot égueulé, plein de vin chaud, bouillant sur un feu de bois qui fume. Ce sont les teigneux, les gourmeux, les disgraciés de Bethléem que l’on a cachés au fond de ce coin retiré, — avec recommandation à leur nourrice sèche de les bercer, de les apaiser, de s’asseoir dessus au besoin pour les empêcher de crier mais que cette femme de campagne, inepte et curieuse, a laissés là pour aller voir le