Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/183

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— Oui, c’est cela, disait Bonne-Maman, tu les habilleras pareil. En attendant, voyons un peu nos participes. »

Mais la plus occupante était Élise avec son examen subi trois fois sans succès, toujours refusée à l’histoire et se préparant à nouveau, prise d’un grand effroi et d’une méfiance elle-même qui lui faisaient promener partout, ouvrir à chaque instant ce malheureux traité d’histoire de France, en omnibus, dans la rue, jusque sur la table du déjeuner ; mais, jeune fille déjà et fort jolie, elle n’avait plus cette petite mémoire mécanique de l’enfance où dates et événements s’incrustent pour toute la vie parmi d’autres préoccupations, la leçon s’envolait en une minute malgré l’apparente application de l’écolière, ses longs cils enfermant ses yeux, ses boucles balayant les pages, et sa bouche rose animée d’un petit tremblement attentif répétant dix fois à la file : « Louis dit le Hutin, 1314-1316. — Philippe V dit le Long, 1316-1322… 1322… Ah ! Bonne-Maman, je suis perdue… Jamais je ne saurai… » Alors Bonne-Maman s’en mêlait, l’aidait à fixer son esprit, à emmagasiner quelques-unes de ces dates du Moyen Age barbares et pointues comme les casques des guerriers du temps. Et dans les intervalles de ces travaux multiples, de cette surveillance générale et constante, elle trouvait encore moyen de chiffonner de jolies choses, de tirer de sa corbeille à ouvrage quelque menue dentelle au crochet ou la tapisserie en train qui ne la quittait pas plus que la jeune Élise son histoire de France. Même en causant, ses doigts ne restaient pas inoccupés une minute.

— Vous ne vous reposez donc jamais ? » lui disait de Géry, pendant qu’elle comptait à demi-voix les points