Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup de soleil que le Rhin n’a jamais eu. Saint-Romans est en face sur l’autre rive ; et, malgré la rapidité de la vision, la lancée à toute vapeur des wagons qui semblent vouloir à chaque tournant se précipiter rageusement dans le Rhône, le château est si vaste, se développe si bien sur la côte voisine qu’en apparence il suit la course affolée du train et fixe à jamais dans vos yeux le souvenir de ses rampes, de ses balustres, de son architecture italienne, deux étages assez bas surmontés d’une terrasse à colonnettes, flanqués de deux pavillons coiffés d’ardoise et dominant les grands talus où l’eau des cascades rebondit, le lacis des allées sablées et remontantes, la perspective des immenses charmilles terminées par quelque statue blanche qui se découpe dans le bleu comme sur le fond lumineux d’un vitrail. Tout en haut, au milieu de vastes pelouses dont la verdure éclate ironiquement sous l’ardent climat, un cèdre gigantesque étage ses verdures crêtées aux ombres flottantes et noires, silhouette exotique qui fait songer, debout devant cette ancienne demeure d’un fermier général du temps de Louis XIV, à quelque grand nègre portant le parasol d’un gentilhomme de la cour.

De Valence à Marseille, dans toute la vallée du Rhône, Saint-Romans de Bellaigue est célèbre comme un palais de fées ; et c’est bien une vraie féerie dans ces pays brûlés de mistral que cette oasis de verdure et de belle eau jaillissante.

« Quand je serai riche, maman », disait Jansoulet tout gamin à sa mère qu’il adorait, « je te donnerai Saint-Romans de Bellaigue. »

Et comme la vie de cet homme semblait l’accomplissement d’un conte des Mille et une Nuits, que tous ses