Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/220

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grandiose, que le luxe criard et sans choix se fondait, disparaissait aux yeux les plus subtils.

— Il y a de quoi faire… », dit le directeur Cardailhac, le lorgnon sur l’œil, le chapeau incliné, combinant déjà sa mise en scène.

Et la mine hautaine de Monpavon, que la coiffe de la vieille femme les recevant sur le perron avait choqué d’abord, fit place à un sourire condescendant. Il y avait de quoi faire certainement et, guidé par des gens de goût, leur ami Jansoulet pouvait donner à l’altesse maugrabine une réception fort convenable. Toute la soirée il ne fut question que de cela entre eux. Les coudes sur la table, dans la salle à manger somptueuse, enflammés et repus, ils combinaient, discutaient. Cardailhac, qui voyait grand, avait déjà tout son plan fait.

« D’abord, carte blanche, n’est-ce pas, Nabab ?

— Carte blanche, mon vieux. Et que le gros Hemerlingue en crève de mâle rage. »

Alors le directeur racontait ses projets, la fête divisée en journées comme à Vaux quand Fouquet reçut Louis XIV ; un jour la comédie, un autre jour les fêtes provençales, farandoles, taureaux, musiques locales ; le troisième jour… Et déjà avec sa manie directoriale il esquissait des programmes, des affiches, pendant que Bois-Landry, les deux mains dans ses poches, renversé sur sa chaise, dormait, le cigare calé dans un coin de sa bouche ricaneuse, et que le marquis de Monpavon toujours à la tenue redressait son plastron à chaque instant pour se tenir éveillé.

De bonne heure, de Géry les avait quittés. Il était allé se réfugier près de la vieille maman qui l’avait connu tout jeune, lui et ses frères — dans l’humble parloir du