Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/226

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forcené était originaire et connaissait à fond les ressources en pittoresque.

Dépossédée de ses foncions, la vieille maman ne se montrait plus guère, s’occupait seulement de la ferme et de son malade, effarée par cette foule de visiteurs, ces domestiques insolents qu’on ne distinguait pas de leurs maîtres, ces femmes à l’air effronté et coquet, ces vieux rasés qui ressemblaient à de mauvais prêtres, tous ces fous se poursuivant la nuit dans les couloirs à grands coups d’oreillers, d’éponges mouillées, de glands de rideaux qu’ils arrachaient pour en faire des projectiles. Le soir, elle n’avait plus son fils, il était obligé de rester avec ses invités dont le nombre augmentait à mesure qu’approchaient les fêtes ; pas même la ressource de causer de ses petits-enfants avec « Monsieur Paul » que Jansoulet, toujours bonhomme, un peu gêné par le sérieux de son ami, avait envoyé passer ces quelques jours près de ses frères. Et la soigneuse ménagère à qui l’on venait à chaque instant arracher ses clés pour du linge, pour une chambre, de l’argenterie de renfort à donner, pensant à ses belles piles de surtouts ouvrés, au saccagement de ses dressoirs, de ses crédences se rappelant l’état où le passage de l’ancien bey avait laissé le château, dévasté comme par un cyclone, disait dans son patois en mouillant fiévreusement le lin de sa quenouille :

« Que le feu de Dieu les brûle les beys et puis les beys ! »

Enfin il arriva le jour, ce jour fameux dont on parle encore aujourd’hui dans tout le pays de là-bas. Oh ! vers trois heures de l’après-midi, un déjeuner somptueux présidé cette fois par la vieille mère avec une cambrésine neuve à sa coiffe, et où s’étaient assis,