Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet affront. Il pense que tous ses biens sont là-bas, maisons, comptoirs, navires, à la merci du bey, dans cet Orient sans lois, pays du bon plaisir. Et, collant son front brûlant aux vitres ruisselantes, la sueur au dos, les mains froides, il reste à regarder vaguement dans la nuit aussi obscure, aussi fermée que son propre destin.

Soudain un bruit de pas, des coups précipités à la porte.

« Qui est là ?

— Monsieur, dit Noël entrant à demi vêtu, une dépêche, très urgente, qu’on envoie du télégraphe par estafette.


— Une dépêche !… Qu’y a-t-il encore ?… »

Il prend le pli bleu et l’ouvre en tremblant. Le dieu atteint déjà deux fois, commence à se sentir vulnérable à perdre son assurance ; il connaît les peurs, les faiblesses nerveuses des autres hommes… Vite à la signature… Mora… Est-ce possible ?… Le duc, le duc, à lui !… Oui, c’est bien cela… M… o… r… a…

Et au-dessus :

Popolasca est mort. Élections prochaines en Corse. Vous êtes candidat officiel.

Député !… C’était le salut. Avec cela rien à craindre. On ne traite pas un représentant de la grande nation française comme un simple mercanti… Enfoncés les Hemerlingue…

« Ô mon duc, mon noble duc ! »

Il était si ému qu’il ne pouvait signer. Et tout à coup :

« Où est l’homme qui a porté cette dépêche ?

— Ici, monsieur Jansoulet », répondit dans le corridor une bonne voix méridionale et familière.

Il avait de la chance, le piéton.